Avant-propos

Sur l’⁠écriture japonaise

Puisque les spécificités de l’⁠écriture japonaise font partie des composantes fondamentales de cette étude, je voudrais commencer par expliquer ou rappeler quelques bases à son sujet, qui seront utiles pour bien comprendre la suite.

Tout d’⁠abord, il faut rappeler que l’⁠écriture japonaise est une écriture choisie. Le Japon décide en effet vers le VII⁠e siècle de se doter d’⁠une écriture, et se tourne pour cela vers son voisin chinois, qui utilise déjà l’⁠idéo­gramme. Se heurtant alors à la complexité de l’⁠apprentissage des milliers de signes chinois, les Japonais développent deux alphabets plus simples, les kana, divisés en  et .

En observant leurs  formes respectives, on peut déjà remarquer leurs  spécificités graphiques. Le premier (⁠⁠), plus rond et cursif, est considéré comme le plus simple. C’⁠est le « premier mode » de l’⁠écriture japonaise, utilisé pour traduire phoné­tiquement les idéogrammes ou pour les terminaisons et particules grammaticales. Le deuxième (⁠⁠), plus géo­métrique, est réservé à l’⁠écriture des mots étrangers. Le mot anglais lemon (⁠citron⁠), deviendra donc , traduction phonétique directe — encore que le japonais se laisse à cet égard une grande liberté. Ces deux premiers alphabets forment la plus petite unité de la langue, et sont en cela comparables à nos lettres romaines ; elles n’⁠ont pas de sens propre, mais doivent être associées avec d’⁠autres pour faire émerger du sens.

Enfin les milliers de , les idéogrammes, forment le dernier organe de la langue japonaise. Ces trois alphabets sont utilisés en même temps dans la vie courante. Pour dire « j’⁠ai mangé une glace » on dira donc en utilisant les katakana (⁠ソフトクリーム⁠), un kanji (⁠⁠) et des hiragana (⁠ et べた⁠). La langue japonaise flotte donc constamment dans un bain de chinois, de japonais et d’⁠autres langues mélangées.

système d’⁠écriture japonais

Arrivés là, vous n’⁠êtes pas encore au bout de vos peines car la dernière catégorie, les kanji (⁠idéogrammes⁠), peut encore être divisée en 3 catégories, empruntées direct­ement au chinois : les pictogrammes (⁠dérivés d’⁠objet⁠), les idéogrammes (⁠dérivés de concepts et chiffres⁠) et les caractères composites (⁠association de plusieurs caractères préexistants⁠). Un exemple rendra sans doute le tout plus clair. Si l’⁠on prend le mot « pays » (⁠⁠), on peut remarquer qu’⁠il est un composé du pictogramme « enceinte » (⁠⁠) — on y reconnaît bien le dessin schématique d’⁠un mur d’⁠enceinte — et de l’⁠idéogramme « joyau » (⁠⁠). C’⁠est l’⁠association des deux derniers qui forme le troisième (⁠qui devient donc une sorte de « boîte à bijoux »⁠) mais chacun existe aussi indépendamment des autres. Dans le cas du japonais, comme du chinois, le signe fait vivre.

C’⁠est très évident pour la première catégorie des kanji, celle des picto­grammes. Par rapport aux idéogrammes ou aux caractères composites, sa portion est la plus faible. Néanmoins c’⁠est souvent par elle que l’⁠on commence pour apprendre les kanji, car elle permet de « faire coller » signifiant et signifié. C’⁠est une traduction directe du réel, comme un dessin. Dans un seul mot, le japonais « appelle » donc le réel au moins deux fois : l’⁠écriture, première mise en forme, se double immédiatement du dessin, comme pour marteler la réalité de la chose énoncée.

Ce martelage de sens ne discontinue jamais et c’⁠est ce qui rend la langue japonaise si luxuriante et facile à poétiser. Le moindre signe écrit porte un sens, jusqu’⁠au moindre prénom. Il n’⁠est pas rare que l’⁠on s’⁠amuse à tirer les différents sens d’⁠un prénom au Japon, même lorsqu’⁠ils n’⁠ont rien à voir avec l’⁠intention initiale des parents (⁠au même titre que chez nous les Pénélope ou les Théo portent parfois malgré eux le poids mythologique et étymologique de leurs prénoms⁠). Pour bien comprendre la suite, il faut donc retenir ceci : en japonais, le signe écrit est souvent porteur de multiples sens.

P.S comme c’⁠est déjà le cas ici, tous les mots japonais seront notés dans leur écriture originale et apparaîtront avec un soulignement de ce type (⁠⁠). C’⁠est seulement en passant dessus que l’⁠on accède à sa prononciation phonétique (⁠en bas⁠) et, si nécessaire, sa traduction (⁠en haut⁠). Ce système est un écho aux , système de sous-titrage pré-existant dans la langue japonaise. Étant donné la cohabitation des systèmes d’⁠écriture, et à destination des enfants par exemple, les kanji sont parfois surtitrés de leur prononciation phonétique en kana ; on en rencontre très régulièrement dans tout type de texte. Dans la forme de ce mémoire, ces ふりがな un peu adaptés rappellent le lecteur à la singularité — et la difficulté — de l’⁠écriture japonaise.

à noter que le e japonais se prononce è. La transcription convenue en romaji (littéralement « caractères romains ») n’intègre pas les accents — spécificité française —, mais il faudra s’en rappeler chaque fois qu’un e se présentera : re, de, be, me, etc. se prononceront toujours , , , , etc. Par ailleurs le r se prononce l. Courage !

hiragana katakana

Tableaux des ひらがな (en haut) et des カタカナ (en bas). À lire de haut en bas et de droite à gauche, c’est-à-dire puis puis , etc.

exemple de kanji pictogrammes

Exemple de 2 kanji picto­graphiques (Regards sur le Japon, JTB Publishing, 1997, Japon).

extrait Oshiri Tantei furigana

Dans ce livre pour enfant, on peut voir un exemple de  au-dessus du kanji . J’ai aussi choisi cet extrait parce qu’il est tiré de la série ultra populaire , litté­ralement « Détective Fesse », dont l’ennemi juré est un voleur à la tête de caca...